Entreprises : les acheteurs sous la pression de la corruption
Un directeur des achats sur quatre a déjà fait l’objet d’une tentative de corruption, selon une étude. Les chartes anticorruption progressent lentement.
Par Timothee Vilars
Il y a un mois, le classement annuel de l’ONG berlinoise Transparency International actait le recul de la France dans la « perception de la corruption », son indicateur phare dans lequel le pays est passé de la 18e à la 26e place mondiale depuis 2006. Et si les détournements de fonds publics restent la forme de corruption la plus médiatisée, la sphère privée n’est pas épargnée par les soupçons.
L’étude 2015 du cabinet AgileBuyer, qui aborde la question sous l’angle des services achats, a recueilli les réponses anonymes de près de 500 professionnels, des grandes ETI au CAC 40, et il apparaît que la corruption s'attaque d’abord aux donneurs d’ordre : un directeur des achats sur quatre déclare avoir déjà subi une tentative de corruption au cours de sa carrière, une proportion nettement supérieure à la moyenne des acheteurs.
« Personne n’est à l’abri, même si tentative de corruption ne veut pas dire corruption », précise Olivier Wajnsztok, directeur associé chez AgileBuyer. « Dans un contexte où la réduction des coûts reste la priorité numéro un pour 77% des acheteurs, ces tentatives de corruption apparaissent comme une volonté de dévier des règles de la concurrence pour les fournisseurs, une preuve de faiblesse initiale sur le prix ou le produit. »
Le « Made in France » est d’ailleurs loin d’être une garantie anticorruption : 36% des propositions malhonnêtes émanent de fournisseurs français, contre 19% d’Européens hors-France et 16% d’Asiatiques. Un facteur de proximité culturelle probablement lié à la part des achats français, même si, montre l’étude, le « Made in France » demeure un critère d’achat très marginal.
La France critiquée par l'OCDE
En novembre, un rapport de suivi très critique de l’OCDE pointait le laxisme de la France dans l’éradication des pots de vin. Le manque de prévention interne est un des principaux points noirs pointés par l’organisation. 26% des professionnels des achats sondés n’ont signé aucune charte anticorruption ces trois dernières années selon AgileBuyer, un taux en lente diminution. « Dans les contrats avec les sociétés américaines, il y a systématiquement une clause anticorruption incluse », rappelle Olivier Wajnsztok. « En France, il y a souvent l’idée que la loi suffit. »
Analysant la transparence des programmes anticorruption des grandes entreprises, Transparency International donne une note moyenne de 70% aux huit premiers groupes français (EDF fermant la marche avec 35%), tout juste dans la moyenne mondiale, contre 90% pour les groupes britanniques et 81% pour les groupes allemands.
Or « aucune entreprise française n'a, à ce jour, fait l'objet de condamnation définitive en France » pour corruption, souligne l’OCDE. Le groupe Safran, jugé en appel en septembre après avoir été condamné en 2012 pour corruption en marge d’un contrat avec le Nigeria, attend le délibéré. Total, Technip, Alcatel-Lucent et plus récemment Alstom ont en revanche été, ces dernières années, condamnés par la justice américaine.